Bombes et jardins

Emmanuel Berl « à venir » chez Gallimard 1974

"L'égalité va contre la nature, contre la vie, et même contre la justice quand elle exclut la différence. Si on parvenait à l'abolir, rien ne légitimerait plus les espoirs que le féminisme autorise. Il est juste, bon, désirable que les femmes se libèrent, que les mythes et les impostures inventés par les mâles pour les maintenir dans la servitude soient abolis.

Mais, dans la situation présente, où la joie de vivre devient tellement
difficile et rare, pour le monde de la pléthore et pour celui de la misère,
où l'instinct de mort s'est donné des moyens tellement terribles et
inattendus, il ne suffit pas que la femme se libère, il faut qu'elle coopère
à un salut de l'espèce, et sans doute qu'elle l'opère. Puisque les hommes
prométhéens accumulent les bombes atomiques, puisqu'ils dilapident follement les ressources de la bioshère,  accroissent les surfaces de béton et celle du désert, la voie qui s'impose à l'esprit pour conjurer le désastre, n'est-ce pas le retour, le recours à la « bonne déesse », « déesse des dieux » qu'invoquait déjà Victor Hugo ?

N'est-ce pas aux femmes qu'il appartient de lui bâtir le temple radieux  « sur la colline Callichore » qu'entrevoyait le poète ?
A quoi bon prendre le pouvoir ou l'obtenir, si c'est pour l'exercer avec la même furie délirante que les guerriers ? Les femmes peuvent et sans doute doivent détourner vers le développement des jardins le désir d'expansion braqué sur la multiplication des moteurs."